Depuis son instauration, le périmètre d’application de la « prime Ségur », pérennisée sous forme d’un complément de traitement indiciaire s’est plusieurs fois élargi. Mais il laisse aussi de coté de nombreux agents et c’est aux employeurs de gérer les employeurs.
Depuis 2020, la liste des professionnels éligibles à la revalorisation salariale dite Ségur, de 183 euros nets par mois au départ, s’est allongée à plusieurs reprises. Mais cette liste est toujours trop courte aux yeux de certains.
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« Exclus du Ségur »
Les métropoles de Brest, Rennes, Toulouse, Reims, Paris et Strasbourg, et les Conseils Départementaux de la Sarthe, de l’Hérault et du Puy-de-Dôme, ont ainsi fait face depuis le début de l’année à des mouvements de contestations ou de grève « d’exclus du Ségur », selon les mots de Karim Lakjaâ, Secrétaire du Syndicat UFICT-CGT du Grand Reims. Pendant trois semaines d’avril, une quinzaine d’agents du CCAS du Grand Reims, collectivité présidée par Catherine Vautrin jusqu’à sa nomination au ministère du Travail, a été « en lutte » pour obtenir l’octroi de la prime.
La grève s’est achevée avec le relèvement d’une prime « enquête » accordée de longue date
« Ces adjoints administratifs se voient demander de travailler sur des enquêtes sociales de plus en plus poussées, avec de l’accompagnement des publics. Pourquoi n’auraient-ils pas droit à la prime Ségur ? », s’interroge un élu. La grève s’est achevée avec le relèvement d’une prime « enquête » accordée de longue date, de 47 à 90 euros bruts.
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Un sentiment d’inéquité
Au Grand Reims comme ailleurs, le sentiment d’inéquité est toujours là… et les choses ne sont pas très claires ! Les travailleurs sociaux affectés à l'instruction des cas de signalement suite à des informations préoccupantes, ce qui ne nécessite pas à titre principal un accompagnement des familles, sont donc exclus du Ségur. C’est difficile à faire accepter », selon côté Bruno Jarry, DRH du département de Maine-et-Loire et Vice-président de l’Association des DRH des grandes collectivités.
Le sentiment d’injustice est d’autant plus fort que cette prime est tout sauf négligeable
En établissement hospitalier et en Ehpad, tous les agents ont droit à la prime Ségur, alors que dans les autres structures du social et du médico-social comme les CCAS et les PMI, la liste des bénéficiaires du complément de traitement indiciaire (CTI) est sujette à débat. Il s'agit en effet de dire qui sont les agents appartenant à un corps ou cadre d’emplois et exerçant, à titre principal, des fonctions d’accompagnement socio-éducatifs. Cela génère un sentiment d’injustice, d’autant plus fort que cette prime est tout sauf négligeable : « portée à 241 euros bruts mensuels au 1er juillet 2023, ce n’est pas anodin » souligne Bernadette Abiven, vice-présidente de Brest Métropole en charge des ressources humaines.
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Élargissement par décret
« Brest Métropole a deux anciens foyers logements transformés en EHPAD, un EHPAD d’accueil temporaire et une résidence autonomie. Au sein des EHPAD, il n’y a pas de question, chacun des agents avaient droit à la prime Ségur 1. Le décret de février 2022 a permis de déployer le CTI à certains agents exerçant des fonctions désignées dans des établissements eux aussi énumérés… Trois aides-soignantes avaient donc droit à la prime au sein de notre résidence autonomie, mais pas les autres agents » explique Bernadette Abiven. « Le décret de fin 2022 a permis un nouvel élargissement du dispositif. Pour en bénéficier, il faut exercer certaines fonctions à titre principal dans des établissements limitativement définis par le décret au-delà du simple cadre d’emplois, et cela a entraîné complexité et incompréhension » explique l’élue brestoise.
Les collectivités ont essayé de faire aux mieux, entre respect du texte, contrainte budgétaire et pression sociale
Dans un centre d’hébergement, la grande majorité des agents relève de la filière médico-sociale et exerce des missions d’accompagnement socio-éducatif à titre principal, ils ont donc pu bénéficier du CTI. Un agent en charge de l’entretien, et un autre agent administratif n’ont pas été concernés. Les collectivités locales ont donc essayé de faire de leur mieux, entre respect du texte, contrainte budgétaire et pression sociale. « Nous avons poussé le curseur au maximum, en regardant finement dans quelle mesure certains agents exerçaient les fonctions désignées au sein des établissements concernés, en n’étant pas dans la filière médico-sociale. Des agents ont ainsi pu changer de filière et intégrer le médico- social pour bénéficier de la prime » détaille Bernadette Abiven.
« On ne peut pas tout faire »
À Brest, on s’est donc efforcé qu’un maximum d’agents bénéficient de la prime, mais il a fallu poser des limites. « J’ai été très claire avec les organisations syndicales, leur indiquant que même si la collectivité avait mené une politique volontariste pour mettre en œuvre ce dispositif complexe, je souhaitais malgré tout rester dans la stricte application du texte » souligne Bernadette Abiven. « J’ai expliqué aux agents mécontents qu’ils devaient demander aux organisations syndicales de défendre leurs intérêts au niveau national, car on ne peut pas faire porter toute la responsabilité à l’employeur » conclut l'élue.
« Nous avons essayé de suivre à la lettre le texte national, mais le Rifseep aurait été plus adapté »
« Toute la partie administrative en soutien des assistants sociaux, soit 120 agents chez nous, est exclue du Ségur. Cette prime représente de l'ordre de 10% de la rémunération et cela a bousculé notre politique de rémunération » détaille de son côté Bruno Jarry. « Nous avons essayé de suivre à la lettre le texte national, mais le Rifseep aurait été plus adapté, car nous disposons de marges de manœuvre et nous l’aurions fait avec nos propres critères » ajoute-t-il. Selon lui, « le Ségur, qui accorde des points en plus, sur la base de critères nationaux, n'était pas le bon outil pour la fonction publique territoriale ». « Dans le médico-social, l'écart entre les encadrants et les équipes est parfois de l'ordre de 300 à 400 euros. Les équipes ont droit à la prime Ségur, qui est de 260 euros bruts, mais pas les encadrants. Cela a été un facteur de déséquilibre. Certaines collectivités territoriales ont accordé cette prime aux encadrants, d'autres ont joué avec le Rifseep. La liberté consistait à appliquer le texte à la lettre, ou pas » conclut Bruno Jarry. L’application stricte du texte exclut effectivement les encadrants.
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Quand c’est flou…
Cette lecture du texte à géométrie variable n’étonne pas Karim Lakjaâ. « Le projet de décret a été rejeté par la formation spécialisée 3 du CSFPT. Les syndicats reprochaient à la fois le caractère non obligatoire et le périmètre d’application insuffisant de cette mesure » rappelle ce dernier, qui présidait alors le collège paritaire. Le flou d’application a une conséquence : certains exclus ne renoncent pas. « Il y a des contentieux devant le Conseil d’Etat, je défends une dizaine de clients » indique David Guyon, avocat en droit public à Montpellier, qui insiste : « Il y a un vrai problème d’équité » insiste-t-il.
La justice administrative peut décider de rejeter la demande des agents, ou au contraire d’annuler le refus d’attribution. Dans ce cas, la collectivité devra procéder à paiement rétroactif au plaignant ou à la plaignante, voire aux agents dans la même situation.
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