Déni de démocratie, mépris du vote, trahison politique… En écartant, au prétexte de la « stabilité institutionnelle », la nomination d’une Première ministre issue du Nouveau Front populaire, Emmanuel Macron a fait… du Emmanuel Macron, affirment certains éditorialistes, quand d’autres expriment leur « soulagement ». Un boulevard pour le Rassemblement national ?
Cela commence comme une dystopie. Au lendemain du second tour des élections législatives, un électeur ou une électrice a décidé de quitter la Terre. À son retour de Sirius, cinquante jours plus tard, il ou elle « constate une (contre) révolution à l’œuvre » : ce n’est plus l’extrême droite qui est ostracisée, mais la gauche, pourtant initiatrice du front républicain. Ainsi s’ouvre un billet d’Hervé Nathan qui, dans Alternatives économiques, convoque ce « touriste intergalactique » pour essayer de décrypter ce qu’il qualifie de « trahison politique ».
Ne cherchez pas, c’est du « mépris », titre Libération dans sa Une du mardi 27 août 2024, au lendemain de la décision d’Emmanuel Macron de rejeter l’option d’une Première ministre issue du Nouveau Front populaire. Il fallait s’y attendre, semble affirmer Jonathan Bouchet-Pertersen, toujours dans Libération : « Il est sidérant de penser qu’un camp qui a fini troisième des élections législatives, avec 20 % des suffrages au premier tour, et qui n’a sauvé les meubles au second tour que grâce à la constitution d’un front républicain pour dire non au Rn, se considère encore comme central. Ce déni teinté de suffisance, qui fait du réel un détail et du compromis une faiblesse, est typiquement macroniste. »
Aux journées d’été du Medef : Macron, reviens !
Aux côtés de ceux qui dénoncent un « hold-up », à l’image de Sébastien Crépel dans L’Humanité, Mediapart fait partie de ceux qui y voient un déni de démocratie. Ellen Salvi fulmine : « Le président de la République et ses soutiens ne veulent pas changer leurs politiques. Qu’importe si nombre d’entre elles ont rencontré une opposition massive dans la société. Qu’importe si, au lieu d’endiguer la montée de l’extrême droite, elles lui ont ouvert un boulevard. Et qu’importe si les dernières élections ont démontré tout cela de façon éclatante. Les intéressés n’en démordent pas : ils préfèrent bloquer le pays plutôt que d’y renoncer. »
Il faut dire que les patrons, en deuil, étaient en train de pleurer le macronisme, montre Anne-sophie Lechevallier dans un reportage à l’université d’été du Medef, hippodrome de Longchamp. Exceptionnellement dépourvue de discours de ministres faute de gouvernement, cette Rencontre des entrepreneurs de France (Ref) version 2024 a en effet été, pour le mouvement patronal, l’occasion de regretter une période bénie en disqualifiant le programme du Nfp. L’abrogation de la réforme des retraites ? « Un signal terrible pour les marchés », a lancé le président du Medef, rapporte la journaliste. Le Smic à 1 600 euros ? « Les effets en seraient ravageurs », a encore asséné Patrick Martin.
Un « Ouf de soulagement »
On comprend aisément pourquoi Le Figaro exprime du « soulagement » : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ! » C’est ainsi que Vincent Trémolet de Villers ouvre son éditorial en se félicitant qu’Emmanuel Macron ait « fermé la porte » à la gauche, dont la seule qualité à ses yeux est « son génie de l’agitation minoritaire ». Il écrit : « Rappelons que cette dernière a réuni 28 % des suffrages, moins de 200 députés pour une coalition de quatre groupes parlementaires : où est la majorité proclamée ? »
Les Échos abondent : un « Ouf de soulagement » est ainsi le titre choisi pour l’éditorial de Dominique Seux : « Le pire est évité, se réjouit-il. C’est ce que les milieux économiques peuvent logiquement se dire […]. Exit Lucie Castets. Mais surtout exit un programme qui donnait de légitimes sueurs froides aux entreprises et à ceux qui connaissent l’économie. »
Du front républicain au front antipopulaire
D’Emmanuel Macron à Marine Le Pen en passant par le Medef, Hervé Nathan, toujours dans son billet publié par Alternatives économiques, parle d’un « insupportable front antipopulaire », qui construit un rempart de choix pour les plus privilégiés. Il argumente : « Le rejet des impôts sur les plus riches, de la retraite à 62 ans, de l’augmentation des salaires, de la maîtrise des prix indispensables, de la répartition des richesses, du financement de la transition écologique… Voici donc ce qui compose le ciment de ce front du refus – véritable rempart des privilégiés et des nantis de la société – qui est de fait un front antirépublicain puisque bâti sur la trahison du vote populaire. »
Or ce front, explique en substance Sébastien Crépel ne peut fonctionner sans la bienveillance de l’extrême droite : « Marine Le Pen a effet promis que ses députés censureraient tout gouvernement du Npf, mais elle s’est bien gardée d’en dire de même d’un gouvernement de centre droit », rappelle ainsi l’éditorialiste de L’Humanité.
Vu d’Outre-Manche, la situation est résumée d’un mot par The Guardian : un « political chaos ».
Christine Labbe