En quoi les romans de science fiction de Barjavel dénoncent-ils le productivisme et la prédation des ressources ?
- Natacha Vas-Deyres Chercheuse associée de l’université Bordeaux Montaigne, spécialiste de la littérature d’anticipation
- Ugo Bellagamba Écrivain de science-fiction
René Barjavel (1911 - 1985) est aujourd’hui considéré comme l’un des dignes héritiers de Jules Verne et l’un des fondateurs de la science-fiction à la française. Natacha Vas-Deyres nous explique "ce qu’il faut comprendre c’est que la science-fiction n’est pas tant en vogue au moment où Barjavel écrit ses premiers romans. La science-fiction française est héritée du 19e siècle, qui marque le passage entre la littérature utopique et la science-fiction qui correspond à ce qu’on appelle au 19e le “merveilleux scientifique”. Cette première science-fiction française va de pair avec l’industrialisation au 19e et le développement de la science et de l’intérêt pour les découvertes scientifiques en littérature. Barjavel est à la charnière et constitue en fait le dernier représentant de cette lignée, de cette première étape de la science-fiction en France. Le merveilleux scientifique est largement assombri en France par la Première Guerre mondiale (notamment car toute une génération d'écrivains meurt) et Barjavel arrive au bout de cette lignée." Remis au goût du jour avec la crise énergétique actuelle, c’est avec son roman Ravage, qui présente l’effondrement d’une société privée d'électricité, que Barjavel entre en littérature.
Il propose dans ses fictions une science fiction anticipatrice : des civilisations futures, des civilisations englouties, des voyages dans le temps. En fils de boulanger et jeune ayant grandi à la campagne, il s’empare dans ses fictions de thématiques autour de la gestion des ressources et du progrès : dépendance énergétique, ultra-technologique, automatisation du travail et de la vie, productivisme et alimentation durable.
Dans des sociétés futuristes devenues des sommets de civilisation, il interroge ainsi la place du progrès, des machines et ses implications sur la vie sociale et économique : place du travail, préservation des ressources, bonheur etc. Répondant à des problématiques contemporaines, d'aucun pourrait faire de Barjavel un précurseur de l’écologie moderne qui a aujourd'hui toute sa place dans le genre de la science fiction. Ugo Bellagamba ajoute "Barjavel fait figure de précurseur dans la réflexion sur la science-fiction autour du modèle économique à adopter qui soit respectueux de la nature et en même temps viable économiquement. Aujourd'hui on a l’impression d’une bipolarisation un modèle capitaliste avec une croissance exacerbée et en face la proposition de petites communautés décroissantes auto-gérées. Il semble n’y avoir rien entre les deux : ce sont ces deux modèles que Barjavel interroge notamment dans Ravages puisque la petite communauté finale créé par François Deschamps fini par un drame : il est devenu dictateur, polygame et se fait assassiné par l’inventeur de la machine à vapeur. Barjavel interroge les deux modèles et montre leurs limites : celui des grandes cités qui s'effondrent et celles des petites communautés qui tournent court".
Pour aller plus loin
- Natacha Vas-Deyres : Science fiction ! Voyage dans la modernité (Mouton électrique, 2022)
- Ugo Bellagamba : Le dictionnaire utopique de la science fiction (Le Bélial, 2023)
Références sonores
- Extrait du film Les chemins de Katmandou, réalisé par André Cayatte, sorti en 1969
- Lecture extrait « Le diable l'emporte » René Barjavel publié en 1948
- Archive INA à propos de "Ravage" et réponses au élèves du collège de Chalais, 1974
- Archive INA Jacques Chancel s'entretient avec René Barjavel, 1969
- Lecture extrait « La nuit des temps » René Barjavel publié en 1968
- Lecture extrait « Ravage » René Barjavel publié en 1943
- Archive INA, René Barjavel sur les conséquences de la pollution et surpopulation, Ina Actu,1971
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/l-economie-selon-rene-barjavel-9032553